La plume ouverte au vent

Publié le par La Hutte aux Pies

J'observe le socle des montagnes, comme un coup d'ailes qui ferait le tour de la terre. Mes rêves fleurissent pour ouvrir des pétales intuitifs. Je décide de profiter de la vie immédiate parce que le temps passe sans s'arrêter. Je prends la liberté de le regarder passer, sans culpabiliser. Un caillou dans l'onde du néant. Alors que les très mauvaises nouvelles dévorent tout comme autant d'hécatombes lugubres. Pendant que le sort s'acharne sur la santé de ceux que j'aime parce que le même sang coule dans nos veines. Je redoute ces temps-ci les sonneries du téléphone. Ce cercle infernal cessera-t-il enfin de tourner sur lui même tout autour de nos vies ?

Hier matin, le téléphone a retenti bien trop tôt. Sa sonnerie stridente venait annoncer que le premier homme de ma vie était tombé la veille, qu'il avait passé la nuit nu sur le carrelage de sa salle de bain sans pouvoir se relever. A cette annonce, le sol se dérobait sous mes pieds. Parce qu'alors j'ai senti que le moment que je redoutais depuis de nombreuses années était arrivé. J'ai su, entre ma peur et mon chagrin immense, qu'un autre voyage avait commencé. Qu'est ce qu'on fait d'une personne âgée qui se met en danger simplement à essayer de continuer à vivre encore un peu plus longtemps dans son petit appartement, pour conserver intacts quelques mois de plus les rituels précieux qui rythment une journée ? 
Prétention que de vouloir durer, les bouches voraces du temps viennent nous rappeler que les dés sont jetés depuis le départ. Un jour, bientôt, il ne restera rien de lui, rien d'autre que des souvenirs en dentelle rouge, des éclats de rire, des moments de tendresse. Bientôt, les traces de mon père s'échapperont dans mes larmes mouillées, et seuls mes songes ne le précipiteront jamais dans la toison glacée de l'oubli.

Pourtant, je persiste à chercher le chemin aux portes de moi même, espérant me retrouver au hasard d'un détour. Dans le vide inquiétant de mon isolement, je m'octroie des plaisirs oubliés, des rires et du plaisir pour me retrouver au delà de ces mondes de brumes. Je prends le temps de l'amitié, anneau d'un soleil pâle dans le creux trop sombre de mes mains affamées. Celles qui ont vu à quel point les temps sont troubles me tirent chacune à leur manière vers la vie. Pour m'inviter à une virée cinéma où je rirai à pleins poumons. Pour passer une soirée mémorable entre filles qui se connaissaient déjà toutes à 12 ans. Ou une invitation à un réveillon avant l'heure prenant des allures de joyeuse orgie musicale, danser le folk au son des accordéons diatoniques en buvant trop de vin. Je reçois aussi des paquets merveilleux, je n'ai jamais été aussi gâtée à Noël que cette année... alors que Noël c'est demain. Tous m'entourent et me forcent à l'optimisme, comme la lune qui nous montre toujours sa face lumineuse.

Grâce à eux tous, je retrouve de la force et le ciel se vide petit à petit de ses caillots de sang, la nuit se fissure. Mes choix sont la mémoire de demain. Je me dis que peut-être, ma voix peut faire taire le bruit de la mastication vorace des mauvais échos qui se répandent en ce moment dans ma vie.

Nous avons en nous tant de choses, tant de mondes, de beauté et de pouvoirs. J'ai en moi toutes les routes et toutes les possibilités. Mais il faut du temps pour le comprendre. Il faut se perdre au milieu des tumultes imposés, il faut se battre contre les vents menaçants de tout dévaster pour se défaire enfin de la matière trop lourde et oublier nos envies désordonnées. Pour que mon regard se tourne vers l'essentiel. La route est-elle encore longue pour apprendre à voir et à aimer le principal et rendre le bonheur accessible ?  

Publié dans La Dame Oiselle

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Magali...<br /> Avec du retard...<br /> Je suis désolée, pour cette soirée, j'aurai dû comprendre, voir et me taire....<br /> Je t'embrasse encore et encore
Répondre
L
<br /> T'aurais rien dû du tout ! Je t'aime comme ça, comme tu es tout entière !<br /> <br /> <br />
M
Je pense que c'est un effort de chaque jour, un état d'esprit à cultiver pour ne rien regretter.<br /> Je pense à toi.<br /> Bises.
Répondre
L
<br /> C'est dur en tous cas. Bises aussi !<br /> <br /> <br />
F
Pour m'évader un peu parfois je vais faire un tour sur ton blog, tes récits et ta plume me transportent, j'ai l'impression de voyager. Et là je tombe sur une page bien triste me rappellant à mon tour mon passé. Mon père est parti il y a 10 ans et je peux te dire que je comprends cette douleur et ce vide. Je sais bien que dans ces circonstances, les mots semblent dérisoirs mais voilà je voulais simplement te dire que je pense à toi.<br /> Bisous ma belle.<br /> Tiphaine
Répondre
L
<br /> Bienvenue Tiphaine, merci de ta visite et de tes mots.<br /> <br /> <br />
A
de douces pensées pour toi la belle
Répondre
C
Je te lis ce soir, et tes mots me ramènent vers un passé à peine passé. Mon père à moi s'est éteint il n'y a pas tout à fait deux ans, et je porte en mon coeur chaque rencontre, chaque regard, chaque sourire de ces deux derniers mois ou nous avons su qu'il partait. Il n'y a rien d'autre à faire qu'à engranger précieusement ces petits trésors fugitifs, car même s'ils font mal, ils nous réchauffent...<br /> Je pense à toi, petite oiselle, je pense bien à toi...
Répondre