La mère-veille

Publié le par La Hutte aux Pies

Nous passons un dimanche très doux, entourés de neige et de copains. Tendue et parfois agacée, je compte pourtant les heures qui me séparent du lendemain. Je prends ma décision très vite, je pèse le poids de chaque argument dans la balance de mon coeur et de ma raison. Je tranche en silence, autour de la table animée par les conversations joyeuses, et je sais immédiatement que je fais le bon choix. Je me sens enfin mieux, je peux profiter de l'amitié qui se dégage de cette journée.

Je n'ai pas la bravoure de ces mères qui quittent leur bébé pour la journée sans se retourner, je n'ai pas leur stoïcisme. J'ai construit toute ma vie de ces dernière années autour de ce projet, celui d'être une mère présente à chaque instant dans leur petite enfance. J'ai laissé sur le chemin des trésors pour parvenir à mes fins, j'ai mis des oeillères pour ne pas voir qu'une autre route peut-être plus belle était possible. Je décidais d'être mère, mais je devais l'être à temps plein. J'ai grandi avec eux dans mes capacités à communiquer avec des mots plus justes, dans le décryptage de nos émotions, dans la compréhension de mes limites. J'ai profité du temps si précieux de la naissance et de la rencontre, pour les sentir, les toucher, les regarder pousser et s'éveiller au monde. Je connais leurs failles et comprends leurs colères. Je sais que je n'aurais pas eu la force morale de laisser mon enfant s'il avait pleuré, si
ce matin je l'arrachais à l'enveloppe rassurante de mes bras. Je sais, pour aujourd'hui, qu'il ne peut être mieux qu'auprès de moi, que sa place est là juste à côté. Je n'ai pas un impératif absolu qui me pousse à fermer la porte derrière ses cris sans verser de grosses larmes sur une séparation qui manquerait de cohérence.

Je suis chanceuse : j'ai quelques pistes sérieuses d'activité en dehors de la maison, et j'ai une nourrice, celle que j'ai choisie, qui promet de garder une place pour Gaspard "parce que c'est moi". Alors à quoi bon aller trop vite en besogne ? Je décide d'attendre que le temps fasse son oeuvre. Depuis quelques jours, notre bonhomme dit : "maman, je voudrais bien aller à l'école avec Malo et ma Nana (c'est comme ça qu'il appelle sa soeur)". Et bien, l'école, c'est pour septembre justement ! Une école qu'il connaît bien où ils seront tous les trois ensemble. Les jours passent si vite sur le calendrier, et demain ils sera grand. Alors je vais profiter encore un peu de cette parenthèse enchantée, tant que la balance penchera de son côté.

Ce lundi matin, j'étais apaisée et détendue en prenant le chemin de l'école. Je l'écoutais répéter cette phrase "maman, je voudrais bien aller à l'école moi aussi", et je sentais que le moment serait bientôt venu, que notre séparation murissait comme un fruit au soleil, et qu'elle serait facile quand nous serions prêts. Comme chaque matin, nous nous sommes arrêtés saluer les vaches à l'étable, puisque l'école Montessori est tout près d'une ferme. Les vaches, les poules et les lapins du matin sont des incontournables, qu'on soit très en retard ou non ! Mais cette fois, une surprise merveilleuse nous attendait tous les quatre : une vache achevait à peine de mettre bas, nous étions seuls spectateurs de la vie dans les pigments froids du vent de l'hiver. Les enfants ont adopté la voix du silence spontanément, nous sommes entrés à pas feutrés dans une bulle bien à l'abri des hommes et du temps, dans l'infini de cette scène magique qui se jouait sous nos yeux. Nous regardions avec de grands yeux ce bébé humide et frémissant chercher à téter sa mère qui le léchait, encouragé par les meuglements maternels à se mettre debout sur ses quatre pattes fragiles, et à trouver les mammelles où coulait déjà une rivière de vie. Tous les quatre unis par ce plaisir muet, immergés dans une étable, nous embrassions l'éternité. 

Ce matin, le temps s'est arrêté pour laisser la vie raconter son histoire à l'heure du premier regard. Gaspard n'aurait pas été avec nous pour assister à la force de cette naissance si j'avais choisi de le laisser chez une nourrice. Alors, j'ai compris que mon choix était le bon, et  la vraie richesse de ma décision a pris tout son sens.   



















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L
Ton texte est très beau, j'en ai les larmes aux yeux, et tes photos sont magnifiques !
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M
Ah je découvre (parce que je lis dans l'ordre chronologique !) que tu sais bien t'écouter ! C'est une qualité très précieuse !
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E
ces photos sont très belles. <br /> eLeF aussi a lu tes deux articles et celui ci l'a bien fait rire.<br /> Parce qu'il est intimement convaincu que nous maternons parce que nous ne pouvons pas faire autrement, et qu'il voudrait bien voir que l'on se fasse violence avec ce sujet sans impératifs... ;))<br /> et que de toute façon Gaspard avait été clair sur le sujet...<br /> <br /> mais c'est bien que la question se soit posée et qu'elle ait eu une réponse. ça, c'est fait. et c'est vrai que ça passe tellement vite que nos touts petits deviennent grands...
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R
la vie est belle !
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L
<br /> Oui, si on sait la regarder du bon côté !<br /> <br /> <br />
A
Oui, profitez !
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L
<br /> Ben tiens !<br /> <br /> <br />